VENENO

- Peut-on avoir une présentation de toi ? / Présente-toi.

Je suis Veneno, une artiste graffeuse et muraliste. J'ai fais mes études dans la communication graphique à Auray en Bretagne. J'ai commencé le graffiti en 2006. Cette discipline m'a permis de voyager à travers le monde entier.
Je fais partie du crew belge CNN199 et  du collectif d'artistes BLACK LINES.





- D'où viens-tu / quelles sont tes origines ?

Je suis originaire de Bretagne mais j'ai eu très rapidement une envie insatiable de bouger et de découvrir d'autres horizons. J'ai d'abord habité à Toulouse, puis à Nantes, en Belgique et enfin au Mexique pendant 3 ans. Aujourd'hui je suis entre Nantes et Paris. 






- Quelles sont tes motivations et inspirations dans ton développement artistique ?

Dans ma pratique du graffiti, j'essaie d'avoir un certain niveau technique, mais ce sont les émotions qui m'intéressent. Les gravures de Gustave Doré m'ont beaucoup influencées. Cette place du noir dans le dessin, ce romantisme dans le dark, avec des références comme Sin City...  J'aime ce genre d'univers.






Comment as-tu commencé à pratiquer ?

J'ai toujours dessiné depuis petite. J'ai découvert le graffiti quand j'avais 13 ans. On m'avait offert le livre Kapital. Quand je faisais des allers-retours à Paris pour voir ma famille, j'en voyais beaucoup et cela me fascinait. L'outil aussi. La spray te permet de peindre de grands espaces... Cela m'a tout de suite intéressé. 
J'ai vraiment commencé en 2006. 




Peux-tu nous raconter tes expériences dans le milieu ?

Je suis partie pour la première fois au Mexique en 2016. J'accompagnais une association française pour donner des cours de graff dans un bidonville à Oaxaca de Juarez. Cela a duré une semaine. C'est lors de la Fête des Morts que j'ai vraiment découvert la culture mexicaine. J'en suis directement tombée amoureuse ! Je n'avais qu'une seule envie, revenir. Deux ans plus tard, j'y suis retournée pour m'y installer. Là bas, j'y ai retrouvé les  connexions que j'avais créées, notamment avec le graffeur YESCKA, qui est devenu un très bon ami. Oaxaca est très connue pour ses ateliers de gravure et ses galeries d'art. La ville abrite beaucoup d'artistes très politisés. De violents affrontements ont eu lieu entre enseignants et policiers lors de manifs (le 19 juin 2016, la police avait tiré à balles réelles sur des enseignants en lutte, faisant 8 morts, NDLR) et beaucoup d'artistes ont dénoncé ces actes par le biais de la gravure. Cela a été ma première approche de la rencontre entre art et politique. C'est à ce moment là que j'ai rencontré les membres du collectif ASARO (Assemblée d'Artistes Révolutionnaires de Oaxaca) et intégré le collectif.

On se réunissait dans les ateliers, et on décidait ensemble des thèmes que nous allions traiter et on réalisait des gravures très grands formats. Les thèmes abordés pouvaient être très local, mais aussi concerner les États-Unis, les débats autour des frontières, ou d'autres luttes en Amérique Latine comme celle des Zapatistes par exemple... 
On imprimait nos gravures dans nos ateliers la journée et on se réunissait le soir pour coller nos oeuvres monumentales. J'y m’y suis consacré pendant un long moment. 


Cela a totalement bouleversé mon travail. Il faut savoir que pendant que j'étais là-bas, un de mes amis graveurs a été incarcéré. Ma seule façon de le voir (comme les parloirs étaient réservés aux familles) a été de négocier avec le directeur du centre pénitencier, la réalisation d'une fresque dans la prison à l'occasion de la Fête des Morts. Il a accepté. Je me suis donc retrouvé là, seule femme, dans une prison pour homme au Mexique, un jour de non visite, à peindre à l'intérieur, et à faire la surprise à mon ami qui était incarcéré depuis 1 an et demi déjà. Au fur et à mesure, je me suis lié d'amitié avec certains détenus qui faisaient aussi de la gravure. 
On a monté ensemble le Proyecto Vándalo. J'y allais tous les jeudis, et après plusieurs mois, on a pu réaliser environ 80 œuvres. J’avais fait un crowdfunding pour payer tout le matériel. Tout était made in jail, même les cadres ! On a exposé dans la prison, puis j’ai tout sorti pour exposer à Oaxaca et à Mexico. Tout ça pour dire que c'était mon premier contact avec l'univers carcéral. Depuis, c'est très présent dans mon travail. Quand je suis appelée à l'étranger, c'est quelque chose que je propose. Des cours de gravure ou de graffiti dans les prisons. Cela m'a amenée au Pérou dans la prison pur femme de Lima, en République Dominicaine dans un centre pénitencier pour adolescentes, sur l’île de Sainte-Lucie... 


A mon retour en France, j'ai eu la chance de directement connecter avec le collectif d'artistes Black Lines. Ils lient pratique artistique et sociale... exactement ce qui me parle ! La rencontre s’est fait à Nantes en 2020 avec Itvan Kebadian, le co-fondateur du collectif.
Leur concept m’a tout de suite plu. C'était un peu la version française de ce que j'avais vécu au Mexique !
Dans Black Lines, nous nous définissons en tant qu'artistes au service des luttes. 
Un cortège de tête, une première ligne dans sa version artistique. Il y a un thème d'actualité choisi par le noyau dur du collectif dont je fais partie, ainsi qu'un mur en particulier. Ensuite, on crée un événement sur les réseaux. L’évènement est ouvert à tout artistes souhaitant s’exprimer sur le sujet, toutes techniques confondues, uniquement en noir et blanc. C'est la meilleure façon d'avoir une unité esthétique sur le mur et l'impact est plus fort. En plus, c'est beaucoup plus économique pour tout le monde. En tout plus de 300 artistes y ont participé jusqu’à présent.


En 2021, on a créé avec Itvan, une branche accès sur la réalisation de banderoles artistiques. On voulait créer des fresques mobiles pour avoir une visibilité de nos messages en manif et les rendre accessibles à un plus grand nombre de personnes. En tout, on a du en faire plus d'une centaine Itvan et moi ! Il y a la réalisation des banderoles où nous invitons parfois d’autres artistes à en réaliser, puis nous nous chargeons de les remettre aux groupes de manifestants le jour J.  Certains manifestants nous ont aidé à emmener nos banderoles en cortège de tête et depuis c’est resté le cas. Tout ça dépend d’une organisation bien rodée. Après la réalisation, nous les emballons dans des papiers cadeaux, on les livre à une personne, qui les transmet à une autre personne. On fait en sorte que ce parcours ne soit pas traçable. Notre rôle reste cantonné à l'artistique.






Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton travail autour de la dualité?

Dans mon art, j'évolue entre douceur et dureté. La poésie et le réel. Je veux apporter de l'émotion juste à travers un regard. Comme pour les amoureux cagoulés ou les personnages masqués que je représente par exemple. Je commence souvent par les yeux d'ailleurs afin d’y transmettre toute l’émotion désirée. J’essaie de faire voyager mes couples masqués à travers le monde. J’en ai peins au Togo, sur l’île de la Réunion, dans une prison au Mexique, au Pérou ainsi qu’en France (plusieurs à Paris et d’autre à Nantes ou Rennes).






Quels sont tes objectifs de vie, les valeurs que tu souhaites atteindre ?

Continuer de développer mes projets personnels. Ma passion, c'est aussi mon travail. C'est pour cela que je voyage autant, pour peindre des murs à travers le monde, ou monter des projets artistiques et sociaux dans le milieu carcéral. 




Le meilleur conseil pour les générations à venir :

Je trouves ça un peu prétentieux de donner des conseils aux futurs générations sachant que chaque générations fait ce qu'elle peut dans l'époque où elle évolue. C'est plutôt moi qui m'imprègne de leurs conseils car il voit le monde avec un œil neuf. Les nouvelles générations sont d'après ce que j'ai pu voir, déjà très inventives que ce soit en terme de militantisme ou dans le domaine de l'art en général.